Sécurité et liberté

Introduction

Sécurité...liberté...Ces deux mots sont-ils complémentaires ou opposés l'un à l'autre ? Pouvons-nous profiter des deux ou devons-nous choisir l'une ou l'autre, plus ou moins de l'une ou de l'autre, l'une au dériment de l'autre ? Combien d'individus, combien de peuples sur la planète acceptent une liberté limitée pour conserver une certaine sécurité ? Combien d'autres, n'y tenant plus, prennent le risque d'une insécurité totale, jusqu'à mettre leur vie en péril, pour conquérir un peu de liberté ?
Ces deux mots pourraient-ils entrer dans une dynamique dialectique ouvrant de nouvelles perspectives ?
Ils semblent faire partie de l'histoire humaine, dans son aspect individuel et dans son aspect collectif.

Partons à leur recherche.


Dans l'éducation

Dans l'éducation de l'enfant, nous connaissons bien cette difficulté qui place les parents dans une hésitation constante, vers un équilibre sans cesse recherché et jamais vraiment atteint de manière satisfaisante. Trop de structure, trop de protection, une affection trop possessive empêchent l'enfant d'expérimenter ses jeunes forces. Les conséquences psychologiques pourront être un manque de confiance en soi, une image de soi incertaine ou même négative. Ce problème est bien décrit par Ruth Sanford (psychothérapeute collaboratrice de Carl Rogers) dans un texte court et tellement plein d'une signification profonde : "Aimer la main ouverte".

Ruth Sanford utilise une image, une allégorie : un promeneur bien intentionné voit sur le bord de la route, un papillon en train de s'efforcer de sortir de son cocon. Le promeneur compatissant devant la difficulté de la tâche, écarte doucement les parois du cocon, ce qui permet au papillon de sortir facilement et de se retrouver par terre...pour y mourir quelques minutes plus tard...incapable de s'envoler. Ce promeneur ne savait pas que les ailes ont besoin de ce dur travail d'extraction pour se fortifier et emmener ensuite le papillon dans son vol.

Ainsi trop de sécurité peut tuer. Cependant, l'enfant en a besoin. Que deviendrait un enfant qui aurait toute la liberté voulue mais qui manquerait de protection ? Et une forme de protection est l'autorité bienveillante de l'adulte qui affirme les limites, les contours dont la liberté a besoin. Trop de liberté peut déclencher de l'angoisse par manque de structure, manque de définition des possibles, comme si l'identité n'avait alors pas de repères suffisants pour se définir et se construire.

Au cours de notre histoire, nous observons, selon l'époque, des dérives d'un côté ou de l'autre.toujours à la recherche de cet équilibre impossible. L'éducation des enfants d'aujourd'hui prépare le monde de demain et la question invite à réfléchir en termes de dynamique et d'équilibre :

Lorsque l'accent est posé trop uniquement du côté de la sécurité, ce qui répond la plupart du temps, non pas à la peur de l'enfant mais à celle des parents, l'enfant risque de ressentir l'angoisse d'un étouffement ou de devenir trop égocentrique, sans une conscience suffisante de la société qui l'entoure et de la nécessaire solidarité entre les individus. mais à l'inverse, lorsque l'accent est mis trop entièrement sur la liberté, l'enfant risque de ressentir l'angoisse de l'abandon et de manquer des points d'appui et repères nécessaires à sa croissance. L'adulte ayant grandi dans une atmosphère ressentie comme insécurisante risque de devenir défensif et agressif par souci d'auto-protection.
Ni sécurité seule, ni liberté seule, le juste équilibre consiste dans la présence de la sécurité et de la liberté, fournissant ainsi le terreau favorable dont l'individualité a besoin pour se développer harmonieusement."
-extrait du fascicule 2, p.20 : Ecoute Consciente, juillet 2007 -


Approche Centrée sur la personne

Selon les données de l'Approce Centrée sur la Personne fondée par le psychologue américain Carl Rogers au siècle dernier, un climat de sécurité et de liberté dans une relation humaine assure les conditions du développement. Il s'agit bien des deux à la fois, non pas l'une ou l'autre, non pas l'une au dépend de l'autre, mais la sécurité toute entière et la liberté toute entière, l'une et l'autre aussi pleinement que possible dans une relation humaine par définition imparfaite.

De quelle sécurité s'agit-il ? Dans un premier temps, le plus important semble être de ne pas se sentir jugé, de pouvoir se sentir accueilli dans son expression, ses sentiments et ses pensées, savoir que l'être que je suis est le bienvenu tel qu'il est. Cette sécurité est essentielle au développement humain et tous les individus en ont besoin dès l'enfance. C'est même avec cette nourriture que l'enfant peut grandir. Ceux qui n'ont pas reçu cette reconnaissance à un degré suffisant doivent parcourir eux-mêmes le chemin à l'âge adulte pour trouver cette nourriture essentielle à la fois dans d'autres expériences et en eux-mêmes. Cette reconnaissance est le terreau fertile où naît et grandit l'image positive de soi. A partir de là émerge la place que l'individu se reconnaît le droit d'occuper dans son groupe social et plus globalement au sein de l'humanité. Et nous touchons là à une réalité subtile dont tous les êtres humains font l'expérience, à cause de cette qualité qui nous caractérise : la conscience de soi. Cette conscience d'exister en tant qu'individu séparé et différent des autres est un progrès formidable dans l'évolution des espèces, un bond révolutionnaire par rapport aux animaux qui nous précèdent sur l'échelle évolutionnaire. Ce bond en avant apporte aussi ses problèmes, dont la nécessité d'être reconnu et d'avoir sa place parmi les autres. La Considération Positive Inconditionnelle, telle que Rogers a nommé cette attitude, se trouve ainsi à la jonction entre le développement individuel et le développement relationnel et social. Existant obligatoirement dans un contexte relationnel, qu'il soit thérapeutique ou non, cette Considération facilite l'épanouissement de l'individu et le lien à la communauté humaine, essentiel et indispensable à la "survie". Pourrait-on dire qu'elle se trouve à la jonction entre la conscience individuelle et la conscience d'ensemble ?

Je suis une individualité différente, originale, ne ressemblant à aucune autre et revendiquant sa place en tant que telle, et en même temps, je suis Humain, me reconnaissant en chaque autre qui partage cette qualité d'humanité."

Dans cet accueil inconditionnel et bienveillant, est-il possible, en plus, d'être compris ? La sécurité est très grande et l'individu s'épanouit s'il peut bénéficier de la compréhension et de l'accueil, être compris tel qu'il est, véritablement, et en même temps accueilli avec bienveillance. Combien de personnes, à commencer par l'enfant, font le choix, pour se protéger, de ne pas se montrer vraiment ou de cacher certaines parties d'elles-mêmes ? Elles font le choix d'être acceptées plutôt que comprises et ce choix introduit les "conditions de valeur" qui posent des conditions à l'acceptation des autres. C'est ainsi que l'enfant se construit, limité plus ou moins, par les conditions de valeur mises en place par les parents et ceux qui l'entourent, quelque chose du genre : "Je suis aimé si...". Il est facile de s'imaginer à quel point, dans ces conditions, la liberté d'être est limitée...

De quelle liberté s'agit-il ? Lorsque peuvent être ressenties, au moins jusqu'à un certain point, l'assurance d'être accueilli sans jugement et sans conditions, ainsi que l'assurance d'un effort de réelle compréhension de la part de l'écoutant dans une relation d'aide ou de l'interlocuteur dans la vie quotidienne, alors est éprouvée la liberté psychologique d'être soi. L'authenticité est libératrice car elle autorise la cohérence entre toutes les facettes de soi. Il n'y a, dans ces conditions de profonde sécurité, plus rien à cacher, plus rien à protéger. La peur peut être abandonnée. Le contact avec l'autre et le contact avec soi-même ont la possibilité de se vivre dans la transparence et la fluidité. Le flux des sensations, émotions et pensées s'écoule librement et devient comme un flux intérieur de vie. La personne peut choisir, en toute liberté, de focaliser son attention sur l'un ou l'autre aspect, d'exprimer ou pas l'un ou l'autre aspect.

Le cadre de la sécurité est devenu le cadre de la liberté.

"La personne fonctionnant pleinement" L'existence de ces conditions de sécurité et de liberté psychologiques facilitent le développement humain dans une direction positive : "la personne fonctionnant pleinement", pour reprendre les mots de Carl Rogers. Cette personne est libre d'aborder l'inconnu avec une curiosité vivante, libre d'accueillir sans peur l'inattendu de l'existence et d'en tirer le meilleur. Elle est libre de se découvrir elle-même dans chaque expérience nouvelle, affranchie des a priori ou représentations préalables qui déforment l'expérience. Bien sûr, une telle personne n'aura plus besoin de rechercher le pouvoir sur les autres ; elle n'aura plus besoin de bâtir des stratégies pour obtenir la reconnaissance des autres. Elle abordera les relations avec un esprit ouvert et son influence rendra les autres libres. Carl Rogers introduisit ce concept de "personne fonctionnant pleinement" comme une utopie vers laquelle la psychothérapie Centrée sur la Personne permet d'avancer. En élargissant à d'autres champs de la vie sociale, nous pouvons nous amuser à imaginer ce que serait un monde composé en majorité de telles personnes...Mais ne limitons pas notre imagination à un rêve en apparence impossible. Osons la rendre créatrice, car une utopie est ce qui n'est pas encore réalisé et ce vers quoi nous allons.

Imaginons les conditions d'une éducation familiale, scolaire et sociale qui rendraient plus probable l'existence de telles personnes...


Perspective d'ensemble

Je suis jusqu'à maintenant demeurée dans le domaine psychologique et dans la profondeur des processus individuels. Comment se présente cette dualité entre sécurité et liberté à un niveau mondial. Pourrait-on définir un mode d'être et de vivre ensemble qui offre, partout dans le monde, à chaque individu et à chaque peuple, à la fois la sécurité et la liberté ?
C'est ce qu'a tenté de réaliser le président des Etats-Unis, Franklin Roosevelt, dans son discours sur l'état de l'union, prononcé le 6 janvier 1941. Ce discours est connu sous le nom de "Discours des quatre libertés" (the four feedoms speech) :

"Dans les jours futurs, que nous cherchons à rendre sûrs, nous entrevoyons un monde fondé sur quatre libertés essentielles.

La première est la liberté de parole et d'expression - partout dans le monde.
La deuxième est la liberté de chacun d'honorer Dieu comme il l'entend - partout dans le monde.
La troisième consiste à être libéré du besoin - ce qui, sur le plan mondial, suppose des accords économiques susceptibles d'assurer à chaque nation une vie saine en temps de paix pour ses habitants - partout dans le monde.
La quatrième consiste à être libéré de la peur, ce qui, sur le plan mondial, signifie une réduction des armements si poussée et si vaste, à l'échelle planétaire, qu'aucune nation ne se trouve en mesure de commettre un acte d'agression physique contre un voisin - n'importe où dans le monde."


Ces quatre libertés ont été identifiées comme étant l'aspiration la plus haute des hommes, de sorte qu'actuellement, elles sont implicites dans certains articles de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Cet énoncé montre à quel point liberté et sécurité sont liées, chaque liberté énoncée s'enracinant et se développant dans la sécurité correspondante. Contrairement à certaines apparences, sécurité et liberté ne s'opposent pas mais ont besoin l'une de l'autre, la liberté se nourrissant du terreau de la sécurité, au niveau mondial comme au niveau individuel.

Selon le regard porté sur le monde actuel, la réflexion sur ces quatre libertés peut nous rendre pessimistes ou optimistes. Bien sûr, nous en sommes si loin...et pourtant n'existe t-il pas quelques étincelles d'espoir lorsque des peuples se battent pour leur liberté...lorsque des dirigeants se rencontrent pour tenter de construire des solutions aux problèmes de la planète...lorsque des conférences mondiales s'organisent pour parler de la répartition des ressources...?

Perspective d'évolution

Point de vue individuel...point de vue d'ensemble...essayons de rassembler les deux dans une perspective d'évolution de l'Humain en chacun et chacune de nous - et partout dans le monde.

Le développement de chaque être humain se situe dans une perspective dynamique entre lui-même et les autres, chacun ayant besoin des autres et l'ensemble ayant besoin de chacun, dans une perspective non de dépendance mais d'inter-dépendance, dans une libre inter-relation entre l'individu et l'ensemble. Cette expérience d'inter-dépendance et d'inter-relation signifie - si nous voulons éviter les dérives - que chaque individu porte en lui la conscience de l'ensemble et que l'ensemble porte en lui la conscience de l'individu.

En introduisant ces réflexions dans ma vie, voici les quelques éléments que je peux partager :

Plus je cherche une sécurité égoïste et uniquement personnelle, plus je suis exposée à la peur car il me faut alors protéger ma petite personne et mes petites possessions matérielles et autres.
Plus je cherche une liberté personnelle, plus je suis soumise aux désirs nombreux et contradictoires de chacun des aspects qui composent ma nature (sensations, émotions, pensées, etc...). En voulant faire ce que je veux quand je veux, je subis la tyrannie de mes besoins et désirs et me retrouve enfermée dans mon petit monde restreint, loin d'une vraie liberté.

Lorsqu'il m'est possible de vivre la conscience de faire partie d'un tout, que peut-il m'arriver ?
Pour utiliser une analogie bien connue, la goutte d'eau qui fait partie de l'océan peut-elle avoir peur de disparaître ? Lorsque je suis pleinement consciente de mon espace individuel dans son plein développement, en inter-action consciente avec les autres espaces, je peux ressentir une vraie liberté ouverte qui est aussi une pleine sécurité. A cette liberté est associée la responsabilité de tenir ma place dans l'ensemble, et cette responsabilité me renvoie à nouveau à la liberté de développer, autant que je le peux, mon individualité. Irrémédiablement, liberté et responsabilité, individualité et conscience d'ensemble, sont reliées.


Le but est donc - individuellement et collectivement - le développement humain et planétaire qui ne se réduit pas au développement économique et matériel. Une fois que les trois besoins de base : alimentation - logement - habillement - sont remplis, la sécurité de base au niveau physique et matériel, qui est de la responsabilité individuelle et collective à la fois, est acquise. Nous sommes alors libres de nous occuper du quatrième besoin essentiel : être qui nous sommes. C'est une liberté et une responsabilité. Nous retrouvons ainsi, en commençant par nous-mêmes, le chemin de l'évolution humaine.

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Mise à jour : Vendredi 30 Mars 2012
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