L'expérience du bambou


Introduction

"L'expérience du bambou" nous donne l'occasion d'éprouver et d'explorer le développement humain, enraciné dans l'aventure de l'épanouissemnt individuel, traversant le risque de la rencontre humaine et s'ouvrant au collectif. Pour analyser et tenter de comprendre ce processus, je m'aiderai du psychologue Carl Rogers, mais aussi de quelques philosophes comme Bergson, Buber et Paul Tillich.

Le développement de la Personne

Ce titre du livre de Carl Rogers, écrit en 1960, exprime bien cette idée de développement individuel, mais en anglais, il est encore plus puissant : "On becoming a person", introduit l'idée d'un devenir, d'un processus vivant. L'individu se crée lui-même en permanence : écoutons ce que nous en dit Bergson dans l'Evolution créatrice :

"Notre personnalité pousse, grandit, mûrit sans cesse. Chacun de ses mouvements est du nouveau qui s'ajoute à ce qui était auparavant. Allons plus loin : ce n'est pas seulement du nouveau, c'est de l'imprévisible. Et de même que le talent du peintre se forme ou se déforme , en tout cas se modifie, sous l'influence même des oeuvres qu'il produit, ainsi chacun de nos états, en même temps qu'il sort de nous, modifie notre personne, étant la forme nouvelle que nous venons de nous donner. On a donc raison de dire que ce que nous faisons dépend de ce que nous sommes, mais il faut ajouter que nous sommes, dans une certaine mesure, ce que nous faisons et que nous nous créons continuellement nous-mêmes."

"La personne fonctionnant pleinement" (a fully fonctionning person), décrite dans le dernier chapitre du "Développement de la Personne", se crée ainsi en permanence, s'approche de plus en plus de la vérité de son être jusqu'à devenir, à chaque instant un peu plus, la personne qu'elle est réellement : elle découvre qui elle est dans l'expérience, dans un processus fluide d'évolution, qui ne déforme plus la réalité vivante par un encombrement de peurs et d'images préétablies.

La psychothérapie Centrée sur la Personne facilite ce processus de développement qui aboutit, à son terme "idéal", à une personne fonctionnant pleinement, en toute fluidité et en toute réalité. Ce puissant processus de développement de l'individualité a bien correspondu à cette étape de notre civilisation - dans laquelle nous sommes encore, en grande partie, plongés - où l'accent était - est - mis sur la valeur de l'individu. Peut-être, en revanche, n'a t-on pas suffisamment mis l'accent sur les éléments "communautaires" déjà présents chez Rogers.


Une rencontre humaine


Voyons ce que nous pouvons apprendre de l'expérience du bambou - - -


Le "bambou"

"L'exercice" du bambou est proposé dans les ateliers d'entraînement à l'Ecoute Conciente.

Il constitue un support qui nous aide à expérimenter l'écoute lorsque celle-ci s'inscrit dans le corps : il s'agit d'évoluer à deux, en silence, en tenant chacun l'extrémité de la baguette de bambou à l'aide d'un doigt. Ni jeu, ni danse, la situation est une invitation à explorer une position dans la relation :

Est-ce que je dirige ? Est-ce que je suis mon partenaire en me laissant entraîner ? Suis-je à l'écoute de moi-même ou de l'autre ? Comment nous rencontrons-nous ? Est-ce que je pourrais laisser le bambou nous guider ?

Nous avons ainsi l'occasion d'explorer une fluidité possible dans la relation : ni dominant, ni dominé, mais acceptant d'entrer librement dans une "danse" relationnelle dans laquelle l'un et l'autre guident tour à tour, construisant ensemble un équilibre harmonieux jusqu'à ce que puisse s'installer la sensation que le "bambou guide". Le bambou est le symbole concret de la relation : s'il "guide", la relation a atteint un certain degré d'harmonie.

C'est aussi une réalité que l'on retrouve dans certaines situations de médiation, lorsque l'opposition arguments contre arguments, aboutit à un blocage, et qu'il faut passer pour en sortir, à une troisième solution.
L'on peut également se référer au "tiers inclus" de la théorie de la complexité d'Edgar Morin : le passage au troisième élément ouvre à une autre dimension et sort de l'enfermement de la dualité.

Avançons encore un peu plus dans l'expérience :



La relation entre ainsi dans une profondeur humaine plus grande et chaque partenaire existe davantage dans sa force et dans sa souplesse, dans sa capacité de donner et sa capacité de recevoir.


Voyons ce qu'en disent les philosophes :

Martin Buber, avec lequel Rogers a beaucoup discuté, a souligné l'importance d'une relation totalement réciproque entre un "JE" existant pleinement, et un "TU" existant pleinement, chacun en tant que SUJET. La relation est alors une rencontre Face à Face - meeting face to face - où chacun peut être rencontré, "contré" par l'autre - being counter -.

Paul Tillich souligne l'importance de la résistance à l'autre. L'on pourrait dire aussi : authenticité, congruence, poids de l'existence - - - La personne émerge de la résistance dans la rencontre avec l'autre. L'individu se découvre à travers la résistance. A ce point de la relation, s'il ne veut ni se détruire ni détruire l'autre, il doit entrer en communauté avec l'autre personne - l'expérience du bambou qui guide - .


Vers une époque inclusive

Nous pourrions, à. cette étape de la réflexion, éclairer le fait qu'être une personne, c'est se communiquer au delà de l'identification qui nous réduirait à l'autre, et au delà de l'objectivation qui réduirait l'autre à un objet, se communiquer dans une attitude où l'altérité de l'autre serait appréciée comme un appui.

Nous pourrions, à l'époque actuelle, développer la conscience de l'inter-connection et de l'interdépendance, non pas dépendance, mais inter-dépendance entre des individualités intégrées et fonctionnant pleinement.

L'expérience des bambous peut se prolonger avec le groupe entier, et nous entrons alors dans une danse commune où les relations, symbolisées par les bambous qui relient tous les participants, se mêlent, s'emmêlent, se nouent et se dénouent dans un exercice attentif d'écoute et de confiance.


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Mise à jour : Jeudi 01 Janvier 1970
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