Au -delà de l'égoïsme

L'Approche Centrée sur la Personne est le terreau où je m'enracine, personnellement et professionnellement, depuis de longues années.L'énergie nourrissante de ce terreau m'a poussée à explorer deux domaines que Carl Rogers n'avait pas directement explorés, même s'il avait déjà posé des jalons dans ces deux directions, à savoir : le corps physique et la dimension spirituelle de l'être humain envisagé comme un individu, et de l'humanité envisagée comme un ensemble. Je voudrais livrer ici quelques réflexions sur la place de l'ACP dans une anthropologie qui intègre le physique, le psychologique, le mental et le spirituel. Lorsque je m'interroge sur l'importance de l'Approche Centrée sur la Personne aujourdhui, sur le rôle qu'elle peut remplir dans nos sociétés actuelles et dans ma petite vie individuelle, deux directions de travail se présentent :

Des relations humaines harmonieuses et l'accès à l'intériorité de nos existences, ces deux qualités cultivées ensemble, nous invitent à sortir de l'enfermement de nos petits égoïsmes individuels pour nous ouvrir à une dimension d'humanité, à une dimension d'universalité.
L'intériorité touche à la subjectivité invisible, et pourtant tellement plus vraie, souvent, que l'objectivité extérieure. La subjectivité, lorsqu'elle entre en contact avec une "parcelle de vérité" en nous, introduit à ce qui est" plus vaste que nous-mêmes".
Le "plus vaste que nous-mêmes" est ouverture aux relations, à la conscience des processus de groupe qui mènent à un consensus et qui sont aussi les symboles de l'humanité universelle.
Un lien déjà, se laisse deviner entre l'intériotité et les autres : l'intériorité peut se comprendre comme ce lieu le plus intime et le plus profond en chacun de nous, et qui est aussi relié à tous les autres. L'on pourrait aussi reprendre à ce propos, les mots bien connus de Carl Rogers : " Ce qui est le plus personnel est aussi le plus universel. "

Comment l'ACP est-elle chemin d'intériorité ?

Carl Rogers nommait "tendance actualisante"cette capacité des êtres humains à actualiser et développer leurs potentialités pour réaliser de plus en plus les êtres qu'ils sont véritablement,c'est-à-dire aller vers leur propre nature : "la personne fonctionnant pleinement". Si la fleur devient une fleur, l'arbre un arbre et l'oursin un oursin (expériences du prix Nobel Gyorgi), que devient un être humain ?
Pour qu'une fleur grandisse, il lui faut soleil, eau et bonne terre.

Que faut-il à l'être humain ?

Il suffit d'un espace ouvert, qui favorise la découverte et le développement de la qualité d'humanité en soi. Cet espace est constitué par les conditions de séécuritéé et de liberté caractéristiques du climat relationnel offert par l'ACP. Au cours des lignes qui suivent, il sera fait allusion aux conditions de ce climat (les trois attitudes), sans vraiment les définir, car ce n'est pas l'objet de cet article, et je les suppose plus ou moins connues. Vous pouvez vous référer à la présentation de l'Approche Centrée sur la Personne : ACP
La première étape semble être d'apprendre à se centrer sur soi-même, à faire confiance en ses sensations, en ses émotions et sentiments, en ses valeurs et idées personnelles. Nous découvrons ainsi l'authenticité de notre être, nous apprenons à lui faire confiance et à croire en ses capacités infinies d'évolution.

Les sensations : le langage du corps physique

Les sensations sont le langage du corps physique par l'intermédiaire des cinq sens, elles nous renseignent sur le monde qui nous environne et sur l'état de notre corps. Elles sont directes et ne trompent pas si nous savons simplement les observer. La sensation est sûre et précise : c'est chaud ou froid, lisse ou rigide, clair ou sombre, silencieux ou bruyant etc...Elle n'est remise en doute que lorsque nous nous en éloignons et cherchons à la retrouver "Comment était-ce, attendez que je me souvienne à nouveau.", ou bien, quand nous voulons expliquer, rationaliser : « "Pourquoi ai-je cru voir un oiseau là-bas ? qu'avez-vous vu ?" La sensation, message de nos sens, se rapporte aux objets concrets ou aux différentes parties et consistances de notre corps (notre peau, nos muscles, nos os, etc...). Elle constitue une référence matérielle inscrite dans notre vie quotidienne et dans notre monde environnant. Elle est un repère sur lequel nous pouvons compter, comme les roches et les arbres qui balisent le paysage et grâce auxquels nous reconnaissons le chemin. Elle peut être agréable ou désagréable, mais elle est là, juste comme elle est, et nous donne une indication sur la direction à prendre, sur la conduite à tenir, par exemple comment nous vêtir le matin avant de sortir. Le monde du corps physique est abordé dans les approches corporelles et dans un travail de conscience du corps, comme l'Eutonie.

Valeurs et idées : domaine intellectuel et mental

Les valeurs et idées sont du domaine intellectuel et mental. En les approfondissant, en les laissant s'élargir, se développer, se relier aux intuitions qui nous viennent, elles nous introduisent au monde intérieur de la spiritualité qui est abordé dans les nombreuses pratiques de silence et de méditation. Comment, à notre humble niveau, nommer sans risquer de la déformer, une dimension aussi sacrée et intime, et qui restera toujours innommable et insaisissable ? Et pourtant il nous est donné d'en reconnaître l'existence, d'en faire l'expériencerience, et de la partager avec d'autres. Nous pouvons, par exemple, la deviner dans ce mystère : en allant au fond de nous-mêmes, dans ce qu'il y a de plus profond, de plus intime et original, on trouve aussi ce qu'il y a de plus instinctif et de plus partagé. Car tous les êtres humains, au-delà des différences de situation et de personnalité, éprouvent les mêmes émotions, les mêmes sentiments, les mêmes aspirations. Lorsque quelquun prononce le mot "peur" ou le mot "joie", par exemple, nous savons ce qu'il veut dire et sommes capables de le partager, même si nous n'éprouvons pas les mêmes peurs ou les mêmes joies. Nous pouvons également reconnaître cette présence spirituelle dans le silence entre deux notes de musique, ou lorsque la parole s'arrête : il est alors possible d'écouter le silence intérieur...

Emotions et sentiments : domaine affectif et psychologique

Les émotions et les sentiments sont du domaine affectif et psychologique : Ils expriment le vécu personnel interne, en rapport ou non avec les situations objectives.c'est vraiment la personne qui réagit, au-delà ou en deçà de la réalité extérieure, et aussi au milieu de cette réalité. Ce vécu interne, "flux expérientiel" intérieur, conditionne la manière dont une personne se vit émotionnellement et aborde son existence, triste ou joyeuse, satisfaite ou frustrée, heureuse d'apprendre ou apeuré...;A l'image de la sensation physiologique, dans la recherche de notre expérience interne, le "contact" avec nos sentiments, émotions, valeurs et significations personnelles, représente une balise sur le chemin, unélément de compréhension qui permet de continuer l'exploration. Dans l'accompagnement thérapeutique, c'est ce contact que je recherche : il est un point d'appui pour la personne, tremplin qui donne la force de continuer le chemin de croissance, il est une balise pour le thérapeute, confirmation de sa compréhension du monde intérieur du client. Ce contact est vécu de façon particulièrement intense dans les "moments de mouvements" décrits par Carl Rogers, qui sont des moments où la personne, au cours du processus thérapeutique, fait totalement et directement l'expérience de ses émotions.
Cet ensemble complexe de ressentis qui exprime notre histoire et qui nous constitue, est abordé de façon privilégiée par l'Approche Centrée sur la Personne qui est une recherche de contacts avec nos ressentis et un travail de conscience à ce niveau. Puisqu'elle s'adresse prioritairement à cette partie médiane de notre être, l'ACP peut être vue comme un pont entre l'expérience physique et l'expérience spirituelle. Elle est passage de l'une à l'autre, invitant l'individu à découvrir des horizons de plus en plus vastes, à grandir toujours de plus en plus. Elle est intégration de l'une et de l'autre, invitant à rassembler dans notre champ de conscience, les expériences physiques, émotionnelles et mentales en un tout cohérent.
Cette intégration se fait, me semble t-il, grâce à la parole, car la parole est l'outil privilégié de l'ACP. Si, dans une relation thérapeutique, ou dans toute autre relation aidante, je peux percevoir quelque chose d'une sensation, émotion ou signification intérieure précise chez l'autre, et si je peux y associer un mot juste pour lui, je facilite le contact avec sa propre expérience. Et le mot devient créateur, ouvrant vers une direction d'évolution.
Car le mot est symbole : par l'emploi du mot juste, l'expérience est correctement symbolisée dans la conscience qui est alors éclairée et dispose de la bonne information. Il n'est pas si facile, ni si fréquent, de pouvoir employer le mot qui est complètement juste pour la personne concernée : il faut que celle-ci puisse le reconnaître comme représentant exactement ce qu'elle ressent, et pas seulement ce qu'elle a réussi à dire. Mais chaque fois que c'est possible,c'est toujours un tremplin très puissant. De mots justes en mots justes, nous progressons vers davantage de conscience, vers une intégration plus entière des différents composants de notre être ; or l'intégration est une expérience spirituelle.
Ainsi la parole traverse les trois "étages" de notre être comme une expression de la vérité de l'expérience intérieure et comme une force de transformation. Elle favorise l'alignement entre la sensation éprouvée au niveau du corps,l'émotion ressentie, et la conscience. Elle favorise la cohérence ou congruence, pour reprendre le concept de Rogers, entre l'expérience (sensation et émotion), la conscience et la communication. La parole dans le climat de l'ACP, est travail d'unité qui nous aide à intégrer nos différentes facettes. Elle est aussi travail de communication et d'ouverture vers les autres. Nous sommes alors introduits dans une autre qualité de relations humaines.

Vers des relations harmonieuses

Dans cette démarche d'intériorité, nous prenons possession, de plus en plus, de la plénitude de notre nature. Or, dans la nature humaine, comme le disait Carl Rogers, est inscrite en profondeur une dimension sociale, une aspiration à de réelles et authentiques relations. Nous apprenons alors à nous centrer sur l'autre . Nous effectuons un réel travail intellectuel et émotionnel de décentration de soi, qui permet d'approcher le fonctionnement de quelqu'un d'autre avec un minimum de projection personnelle, et en espérant donc devenir capable d'accueillir quelque chose du système de référence de l'autre dans sa vérité. Cette compréhension empathique, manifestée concrètement par l'attitude d'écoute et par les mots qui l'expriment, nous aide à accompagner une autre personne sur son chemin, en respectant son orientation, et en évitant de la confondre avec la nôtre. Cette qualité de compréhension, lorsqu'elle influence aussi nos attitudes au quotidien, facilite énormément les relations. Nous cessons d'attendre trop que ceux qui nous entourent changent. Nous savons davantage respecter leurs choix, leurs modes de vie, leurs manières d'être. Il y a moins de confrontation et davantage d'engagement dans l'effort pour construire ensemble la vie quotidienne. En guise d'encouragement dans cette démarche difficile, je me donne et je nous donne deux petites balises, deux mots qui sont des clés concrètes dans le comportement au quotidien :



Nous sommes alors préparés à entrer dans une dimension plus intérieure et plus vaste, celle de la Considération Positive Inconditionnelle (désignée également par le terme de non-jugement) qui invite à la reconnaissance de la valeur inconditionnelle d'humanité, présente en quiconque est membre de l'espèce humaine. Cette dimension est manifestée concrètement dans un groupe, lorsque les interactions se font dans un climat de sécurité et de liberté, d'authenticité et de compréhension empathique, de sincérité dans la recherche intérieure , dépassant ainsi la juxtaposition des expressions individuelles et laissant émerger le processus de groupe. Il semble qu'il existe alors un réservoir de compréhension et d'amour dans lequel nous pouvons puiser et qui nous amène à vivre autrement le contact les uns avec les autres.

Dans ce contact peuvent être décelés :

Ma recherche actuelle inclut, avec l'Approche Centr&e;e sur la Personne, le travail de conscience du corps de l'Eutonie et l'approche de la Sagesse sans àge présentée par Alice Bailey. J'ai puiséé les éléments de ré flexion qui précèdent dans cette recherche, dans mon expérience de pratique de la psychothérapie Centrée sur la Personne, qui fêtera ses 20 ans en 2006, et dans mon quotidien personnel et professionnel. Car l'ACP, à mon avis, n'est pas réservée à la psychothérapie, elle a pour vocation de s'étendre, et d'influencer l'évolution de l'humanité et du monde.

- Article écrit en 2005 pour la revue du PCAIF -

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Mise à jour : Lundi 20 Février 2012
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